lundi 30 juin 2008

Hôpital : soigner sans polluer

ALTERNATIVE SANTE mai 2008

Déchets, émanations chimiques, eau ... l'hôpital est un mastodonte de la pollution. A ce jour, seuls deux établissements hospitaliers français possèdent une certification environnementale sur environ quatre mille. Mais le monde du soin commence à prendre conscience des enjeux écologiques, sous la houlette du Comité pour le développement durable en santé (C2DS).

"Le B-A-BA de la santé, c'est la prévention. Si les établissements de soins créent les maladies de demain, on est en totale incohérence ! Je rêve d'un hôpital où l'on pourrait venir faire un stage de reprise en main de sa santé. Un hôpital où le patient recevrait une plaquette expliquant les matériaux sains utilisés pour la peinture, les sols ... Une belle école du développement durable ! » Ce rêve, c'est celui d'Olivier Toma, directeur de la clinique Champeau à Béziers, premier établissement à avoir reçu la certification Iso 14001. Mais actuellement, un hôpital est tout sauf un lieu écologique : rejet de millions de tonnes de déchets, dont certains très dangereux pour l'environnement, utilisation de matériaux et de produits qui dégagent des substances toxiques, gaspillage d'énergie. Bref, l'hôpital pollue, et qui dit pollution dit dégradation de notre santé. Inquiets du retard français par rapport à nos voisins européens, des passionnés comme Olivier Toma, Pascal Barrât, responsable de l'environnement au CHU de Tours ou François Gouffrant, directeur de la clinique Delay à Bayonne, se sont rassemblés pour partager leurs expériences de terrain et agir. Ainsi est né le Comité pour le développement durable en santé (C2DS : http://www.c2ds.org/), sous le haut patronage des ministères de la Santé et du Développement durable, en 2006. Fort de ses 200 adhérents, le C2DS intervient lors de colloques, collecte puis diffuse l'information sur les bonnes pratiques et met à disposition un logiciel qui calcule la situation d'un établissement en terme de développement durable.

Une situation critique

Il y a en effet urgence. Les revêtements en PVC sont partout à l'hôpital, alors qu'ils dégagent des phtalates, substances toxiques pour la reproduction et le développement, que l'on retrouve jusque dans du lait maternel. Ces phtalates entrent également dans la composition d'une batterie d'ustensiles médicaux : poches de recueil de sang, cathéters ... ! Autre source de pollution de l'air hospitalier, les produits de nettoyage. Il en existe bien qui sont bio, mais sans préconisation de l'État, difficile de choisir. Autre aberration, des instruments passent dans un bain chimique destiné à limiter la propagation de la maladie de Creutzfeldt-Jacob. Ces produits sont reconnus dangereux pour l'environnement mais il n'existe pas de filière de récupération, donc ils partent directement dans les égouts. Même problème pour des dispositifs jetables contenant des piles. «Ces derniers ont des autorisations de mise sur le marché sans filière de recyclage, alors qu'il est interdit de se débarrasser des piles dans les ordures ménagères qui partent à l'incinérateur. Je suis stupéfait qu'on laisse faire cela ! », s'insurge Olivier Toma, qui préside le C2DS.

Des hôpitaux plus écolos

Heureusement, des établissements s'activent. La clinique Delay vient d'obtenir elle aussi la certification Iso 14001. Comme l'explique son PDG, le Dr Nogaro, « au-delà des grandes intentions, le développement durable, c'est du bon sens, beaucoup d'astuces et surtout une nouvelle approche des soins ». Les robinets sont équipés d'économiseurs, les 60 000 lignes de dialyse utilisées annuellement ne contiennent pas de phtalates, les poches de solutions concentrée sont livrées par 36 et non plus par 2, les ampoules ont la norme NF environnement, fournisseurs et prestataires doivent signer une charte environnementale, des menus bio sont proposés et les futurs bâtiments seront certifiés HQE (haute qualité environnementale), avec toiture végétalisée. Mais ce n'est pas tout, l'eau issue de la dialyse (15 m3/jour), trop minéralisée pour être consommée, jusqu'ici retraitée, est maintenant récupérée pour l'arrosage et le nettoyage à la vapeur, aussi efficace et bien plus sain que les détergents chimiques. Enfin, la clinique possède pas moins de douze filières de tri. «Au départ, le tri des déchets était perçu comme un boulot en plus. Il a fallu tout réorganiser, penser différemment pour ne pas ajouter de travail aux employés », raconte Xavier de Groc, ingénieur chargé de mettre en œuvre la certification. L'action de cette clinique exemplaire est directement inspirée de l'expérience de la clinique Champeau à Béziers, qui peut s'enorgueillir de dix-huit filières de tri depuis 1998 ! Ces établissements pionniers sont-ils dirigés par des écoles de la première heure ? Pas du tout ! « Quand j'ai pris la direction de la clinique en 1992, je venais d'un grand groupe hôtelier. J'ai mis en place une démarche qualité courante dans l'hôtellerie où la culture du service est forte, mais rare à l'époque dans le monde de la santé. Le souci de l'environnement découle tout simplement de cette logique qui place le patient au centre du processus », explique le président du C2DS.

Le développement durable, une politique à part entière

Se soucier des déchets, est-ce vraiment une priorité à l'heure du trou de la Sécu ? Pour Olivier Toma, les problèmes ne sont pas dissociés. "Le système de santé est en dégradation continue. On se soigne avec l'argent de nos enfants, avec des produits qui sont susceptibles de créer des maladies futures et on est en train d'organiser une pénurie de personnel.» Il devient urgent d’inverser la tendance, en envisageant la santé sous l'angle économique, social et environnemental, c'est-à-dire selon les trois axes du développement durable. En rappelant par exemple que la santé représente une source d'emplois non-délocalisables et que sa fonction est d'améliorer la qualité de vie. «Nous allons militer pendant des années s'il le faut pour que la santé soit abordée avec le développement durable. Sur le terrain, ça bouge beaucoup depuis deux ans, mais pas du côté politique. On continue d'agir avec une vision à court terme, à coups de réformes qui ne marchent pas. Pour sortir de la crise, il faut construire une politique de santé sur 20 ans !» Le C2DS a fait plusieurs propositions au Grenelle : inclure un module développement durable dans les programmes des facs, obliger les industriels à un étiquetage des produits réduire la taxe d'enlèvement des ordures ménagères pour les établissements qui mettent en œuvre une collecte sélective des déchets, étendre aux dispositifs médicaux le décret interdisant la présence de six phtalates dans les jouets, ... Des mesures essentielles, mais le Grenelle de l'environnement n'a pas cru bon de recevoir le comité. La bataille ne fait que commencer !

EMMANUELLE MAYER

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